« Où la volonté ne manque pas, une voie s’ouvre. » Difficile de se faire une place aux côtés des colosses Destiny, Far Cry 4 ou Assassin’s Creed Unity à quelques semaines de Noël, même pour un jeu de la licence Le Seigneur des Anneaux annoncé douze mois plus tôt. Et pourtant, L’Ombre du Mordor écrase certains de ses concurrents sur bien des aspects, et cela grâce à une savante alchimie. Empoignez votre arc et affûtez votre glaive : le pays noir ne vous fera pas de cadeau.
En toute honnêteté, je ne suis pas un grand amateur de la saga de Tolkien. J’ai vite abandonné la lecture des livres, j’ai apprécié la première trilogie au cinéma, je me suis ennuyé ferme devant les adaptations du Hobbit. C’est donc sans réel attachement au développement de l’univers que j’ai plongé dans ce chapitre intercalé entre La Bataille des Cinq Armées et La Communauté de l’Anneau, marquant le retour d’un Sauron décidé à régner en maître sur la Terre du Milieu. Les experts noteront de nombreuses incohérences, des anachronismes gênants et des erreurs apparemment inexcusables. C’est malheureusement le prix à payer quand on écrit de nouvelles pages à un ouvrage déjà bien épais. Assassiné aux côtés de sa famille et maudit par la Main Noire, Talion, rôdeur et héros peu charismatique d’un jour, se retrouve pris au piège entre le royaume des morts et celui des vivants. Il sera rapidement accompagné d’un étrange spectre : un elfe omniscient, descendant de Fëanor et gardien de nombreux secrets millénaires. Selon lui, la mort de la Main Noire est la seule conclusion possible pour redonner à Talion la vie qu’il chérissait tant. Mais sous l’œil averti de Sauron, un retour à la vie est-il si facile ? Pas si sûr…
S’il s’accommode d’une trame principale composée d’une vingtaine de missions scénarisées, documentées et variées, L’Ombre du Mordor garde les attraits d’un jeu se déroulant dans un monde ouvert, avec ses nombreuses quêtes annexes, ses missions de chasse et de récolte. Bien sûr, avec la quantité de sbires sur le terrain, les objectifs sont souvent synonymes d’homicide volontaire, mais le level design de certaines forteresses, la possibilité d’agir en toute discrétion et les interactions avec le décor sont autant de remparts à l’ennui. C’est bien simple, après 25 heures de jeu au compteur, même après avoir assisté au dénouement de l’histoire, je continue délibérément à dézinguer de l’orque pour le plaisir et profiter de ces affrontements qui mêlent la fluidité d’un Assassin’s Creed à la brutalité des derniers Batman. Outre les nombreuses compétences et reliques à débusquer — sans quoi les premières joutes sont terriblement difficiles — le jeu met l’accent sur l’organisation militaire des hommes de Sauron. Chaque capitaine de guerre est ainsi caractérisé par un nom, un statut, des forces et des faiblesses, et placé sur le grand échiquier de l’armée. Inutile de tous les abattre : ils seront systématiquement remplacés par des mauviettes promues aux fonctions de chefaillon. En revanche, analyser les faiblesses physiques de vos adversaires, prendre le contrôle de leurs subalternes et semer la zizanie au sein de leurs rangs est l’une des stratégies les plus efficaces. Et quand deux fortes têtes décident de se provoquer mutuellement en duel, vous n’avez plus qu’à admirer le spectacle d’un régiment qui court à sa perte.
La somme de toutes ces bonnes intentions faisant flirter l’action pure et dure aux sournoiseries tactiques est une véritable surprise. La réalisation, sans être irréprochable, met à genoux un bon nombre de titres parus ces dernières semaines. Certes, les régions d’Udun et de Nurn n’ont pas grand chose à voir avec les théâtre de désolation décrit dans l’œuvre originale, mais la direction artistique, le travail sur la lumière et la végétation généreuse sont si exquis qu’on est vite envoûté par ce Mordor aux faux-airs de Comté. En combat, c’est la fluidité, la violence des impacts et les textures des ennemis qui impressionnent. Pour être tout à fait honnête, je n’ai jamais passé autant de temps dans un vulgaire mode « photo », à apprécier le moindre détail, à sublimer une décapitation sommaire, à immortaliser la terreur d’une mise à mort. Les musiques, composées par Garry Schyman et Nathan Grigg, contribuent à renforcer la sensation d’immersion déjà valorisée par la mise en scène des batailles. Timides et mystérieuses pendant les phases d’exploration, plus espiègles quand on rencontre cette vipère de Ratbag, elles deviennent assommantes et dramatiques quand l’action s’intensifie. Mention spéciale aux thèmes marquant l’arrivée des chefs de guerre, dont le nom est scandé par une horde d’uruks. Grandiose, à l’image de cette épopée qui ne révolutionne pas le genre mais qui compile intelligemment des idées qui ont fait leurs preuves par le passé. Une valeur sûre qui entraînera sans aucun doute une suite avec encore plus de caractère.
Critique intéressante, mais j’avoue ne pas avoir fini le jeu après avoir été vaincu par la lassitude causée par la répétitivité du concept…J’ai trouvé, même si je reconnais les qualités que tu lui as trouvées, que le jeu manquait de substance en termes de scénario, de mise en scène, de variétés artistiques dans les paysages, d’exploration (quand on compare avec le dernier Tomb Raider par exemple)…un côté défouloir assumé, et ça s’arrête là, que je trouve dommage vu l’immense potentiel de l’univers et du gameplay choisis.
Pour la variété des paysages, tu as raison, mais j’ai été étonné par la seconde zone plus verdoyante, et ça ne m’a plus gêné ensuite. En ce qui concerne la mise en scène, je n’ai pas d’avis particulier sur les cinématiques, par contre je trouve les phases de jeu très travaillées de ce côté-là, notamment les rencontres avec les chefs orques. Je comprends que le jeu puisse lassé, c’est un sentiment que je ressens dans Assassin’s Creed par exemple, mais qui ne m’a pas du tout effleuré dans Shadow of Mordor 🙂