Le talent de David Cage et des équipes de Quantic Dream en matière de jeu vidéo n’est plus à prouver. En une quinzaine d’années, seules trois productions signées de sa main ont vu le jour : The Nomad Soul, action aventure dans un univers futuriste mystérieux, Fahrenheit, polar sanglant dépeignant un New York enneigé et Heavy Rain, film interactif morbide, émotionnel et humide. C’est de ce dernier chef d’œuvre dont il est aujourd’hui question. Place au déluge, aux drames et aux dilemmes.
L’annonce d’un nouveau jeu développé par Quantic Dream suscite toujours de nombreuses interrogations. Que vont-ils expérimenter cette fois-ci ? Quel grain de folie Cage va-t-il encore greffer à son récit ? Heavy Rain ne déroge pas à la règle. États-Unis, été 2009. Ethan Mars a deux enfants heureux, une femme en pleines formes et un loft confortable faisant honneur à son métier d’architecte grassement payé, bref, une vie tranquille. Ce rêve américain prend fin dans un centre commercial anxiogène au possible alors que le jeune Jason est tué par un bolide dans les bras de son père, les joues collées contre l’asphalte brûlant. Ethan s’enfonce ainsi dans un coma qui sévira pendant six longs mois.
Deux années et un divorce plus tard, Mars ne parvient toujours pas à oublier : cyclothymique, il n’esquisse qu’un demi-sourire quand il reprend pour le week-end la garde de son deuxième fils qu’il accueille dans son nouvel appartement funeste. Sans compter ces absences après lesquelles il se réveille sous la pluie, un origami à la main. Sans compter cette absence, survenue au parc, après laquelle il ne retrouvera pas Shaun. Cette deuxième mégarde impardonnable serait-elle liée à l’affaire du tueur aux origamis qui sévit depuis quelques mois dans la ville ? L’enquête mettra à l’épreuve quatre protagonistes tous psychologiquement instables que le joueur enrôle tour à tour. Jamais un jeu ne m’aura autant fait transpirer : l’histoire est intense et émotionnellement éprouvante, l’attachement aux personnages est immédiat, le dénouement inattendu… Certes, l’intrigue est bouclée en une dizaine d’heures, mais les multiples fins et les scènes alternatives encouragent habilement le joueur à exsuder de nouveau.
Ces sueurs froides n’auraient pas été aussi poignantes si le jeu n’avait pas offert un photo-réalisme, une bande-originale et des possibilités aussi excitants. Nombreux sont les RPG qui s’encombrent de deux, voire trois fins alternatives. Dans Heavy Rain, vos réflexes mis à l’épreuve tout au long des Quick Time Event dictent le rythme du jeu et façonnent le clap de fin. Dix-huit épilogues ont été conçus, les circonstances dépendant de certains de vos choix et des personnages encore sur pieds à la fin de l’aventure. Quelle que soit l’issue de l’enquête, certains points restent obscurs, détails qui doivent encore être éclaircis au travers de chapitres additionnels toujours en préparation. Qu’est-ce alors ? Un jeu soporifique à réflexes ? Non, il faut envisager cette œuvre comme un long-métrage interactif qui laisse au spectateur une certaine liberté de narration agréable. Dépourvu d’équipement, d’interface et de « Game Over », le pari du jeu épuré au gameplay minimaliste était risqué dur PlayStation 3. M’est avis qu’il est plus que réussi. David Cage colle une fois encore un magistral coup de pied dans la fourmilière vidéoludique. Le temps nous dira s’il y a eu un après Heavy Rain ou si ce n’était qu’une affaire classée sans suite.