Interview de Jérémy Zeler-Maury — Edge of Eternity

Il n’aura pas fallu longtemps au jeune studio français Midgar pour lever avec succès sur Kickstarter les 44 000 dollars nécessaires à la production de leur projet Edge of Eternity. Trois jours. Trois jours pour permettre aux quatre gaillards du Gard de se donner les moyens de réaliser ce RPG en 3D inspiré par les séries les plus populaires telles que Final Fantasy ou Star Ocean. Pour mieux comprendre leurs ambitions, définir la frontière entre inspiration et copie, et avoir leurs impressions sur le recours au financement participatif, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Jérémy, Julien, Ugo et Cédric.


Pour commencer, comment présenteriez-vous Edge of Eternity à quelqu’un qui n’a jamais touché à un RPG de sa vie ?

C’est compliqué, car notre objectif est vraiment de toucher les fans de la première heure. On n’a pas cherché à faire un jeu grand public, c’est réellement les fans des anciens Final Fantasy que l’on a voulu viser. Il faut connaître la référence Final Fantasy pour savoir ce que va être Edge of Eternity.

Dans ce cas, comment définiriez-vous le projet à un passionné de jeux de rôle japonais ?

Edge of Eternity, c’est un jeu qui mélange un univers médiéval et un univers de science-fiction. Le scénario est très influencé par les RPG occidentaux, où les personnages sont complexes, l’histoire assez mystérieuse, la progression non linéaire. Les choix du joueurs pourront directement influencer le scénario. Le système de combat, lui, est classique, car beaucoup de joueurs comme nous sont de vrais fans de Final Fantasy. On voulait vraiment retrouver ça, un système au tour par tour. C’est un retour aux sources, avec des techniques et une esthétique next-gen.

Vous assumez pleinement votre passion pour les jeux de Square Enix, Final Fantasy VII notamment. Quelle relation entretenez-vous avec eux ? Ont-ils connaissance de votre projet ?

Il y a quelques jours, nous avons organisé une journée presse à Paris. Une personne de l’équipe de Square Enix France est venue nous voir, et nous a invité à passer dans leurs locaux . Ils sont déçus que nous ne soyons pas passés par leur plate-forme Square Enix Collective, qu’on ne connaissait pas à l’époque. Ils aiment beaucoup le projet, ils le surveillent de près. Le premier contact est très positif.

Ne craignez-vous pas, comme beaucoup de projets de fans, vous confronter un jour à des complications juridiques ? « Midgar », le système d’Active Time Battle, l’esthétique générale ne pourraient-ils pas poser problème ?

Pour « Midgar », il y a une double référence : celle de Final Fantasy VII bien sûr, mais aussi celle de notre département. On vient du Gard, du milieu du Gard, et c’est un nom qui nous correspondait plutôt bien. Le jeu en lui-même ne mentionne en rien Final Fantasy : ni le nom, ni les illustrations n’y font référence. En ce qui concerne le système de combat, des jeux comme Evoland ou Child of Light utilisent l’ATB et l’assument pleinement. On suppose qu’il ne doit y avoir aucun problème de ce côté-là. L’ATB, c’est quelque chose d’assez classique, devenu commun. Pour l’esthétique globale, on a essayé de s’inspirer des jeux japonais, pas spécialement de Final Fantasy, mais aussi de Star Ocean par exemple. Le jeu fait référence à Final Fantasy, mais ça n’est pas un plagiat. Le logo, par contre, sera retravaillé : il a été fait rapidement, et semble poser problème auprès des joueurs.

Mais Final Fantasy reste la référence la plus directe pour définir le jeu, c’est une accroche facile. Tout le monde connait Final Fantasy, c’est très facile de résumer notre projet en disant « Edge of Eternity » est un hommage à la série. On fait quand même attention à notre communication pour ne pas créer de confusion.

Edge of Eternity

Vous venez de lancer une seconde campagne Kickstarter, la première n’ayant pas aboutit. Comment avez-vous analysé le premier échec et quelle expérience en avez-vous tiré ?

La génèse du projet remonte à quelques années. C’était initialement un prototype mobile dont le nom de code était iFantasy, que l’on a soumis à un financement via Kickstarter. Comme tu l’as dit, la première campagne était un échec. Tout le monde se disait très intéressé par un RPG d’inspiration japonaise, avec un gameplay à l’ancienne, mais que la plate-forme et les graphismes n’étaient pas adaptés. On a passé trois mois à synthétiser nos erreurs et à repenser tout le game design du jeu. On a tout recommencé, et depuis un an on travaille sur ce nouveau projet avec nos fonds personnels. Notre ligne conductrice, c’est d’arriver sur Kickstarter avec un vrai concept, et de prouver que notre jeu vaut le coup d’être soutenu. C’est pour ça que cette fois, on arrive avec une démo jouable pour montrer l’ambition de notre studio.

Oui, c’est très important. Gamasutra a plusieurs fois évoqué les raisons des nombreux échecs sur Kickstarter pour les studios indépendants. Avoir du concret est l’une des conditions indispensables pour arriver à séduire les futurs joueurs et récolter des fonds. Cela dit, beaucoup de studios arrivent à financer leurs projets, mais ne parviennent pas toujours à les réaliser concrètement. Il y a quelques jours, Peter Molyneux avait encore bien du mal à justifier ses échecs sur Godus. Est-ce que l’argent des joueurs vous effraye ?

Bien sûr, c’est un enjeu énorme. Pour nos précédents projets, quand l’apport financier était personnel, on pouvait prendre la décision de tout annuler. Aujourd’hui, la communauté attend beaucoup de nous, on n’a pas le droit d’échouer. On va avoir une pression énorme, et nous allons devoir travailler avec la communauté pour répondre à toutes leurs attentes. Mais c’est une pression positive, un moteur, ça nous pousse à aller plus loin. Avec l’argent des backers, on va pouvoir agrandir l’équipe. La direction artistique par exemple a beaucoup été critiquée dans notre démo, qui reste un prototype. Avec deux ou trois personnes supplémentaires, on va par exemple pouvoir renforcer l’impression que l’on est sur une nouvelle planète, un autre monde. C’est quelque chose que l’on ne peut pas faire aujourd’hui avec l’équipe actuelle.

Justement, quelle serait l’équipe idéale pour que le projet réponde à toutes vos ambitions ?

Idéalement, on aimerait passer à sept personnes. Une personne serait dédiée à l’écriture, car les dialogues sont essentiels dans un RPG. On va également avoir besoin d’un artiste qui soit dédié aux personnages, parce que Julien n’arrive pas à gérer à la fois les décors et les personnages. On aimerait aussi intégrer un animateur dédié et avoir recours à de la motion capture — des amis sur Montpellier pourraient nous aider à le faire en studio. Bien sûr, si l’on récolte davantage de fonds, on pourra constituer une équipe plus grande pour accroître la quantité de contenus. Le scénario est immense, ça nous permettra d’intégrer la totalité de nos idées.

L’un des paliers débloque la sortie sur PlayStation 4 et Xbox One. C’est un palier primordial, pour vous, ou simplement la cerise sur le gâteau ?

La sortie sur console est primordiale. Ce projet est un projet de gamers, de quatre personnes qui jouent sur console et sur PC. On adore les RPG japonais, mais ils sont devenus rares : du coup, on ne trouve pas les nouvelles consoles très attractives. On veut essayer d’apporter ce genre sur PlayStation 4 et Xbox One, c’est important pour nous. On est déjà en accord avec Microsoft et Sony, on a les kits de développement. Le problème, c’est la phase de validation avec eux, car une fois que l’on soumet un jeu, leurs équipes lui font subir une batterie de tests agressifs pour obtenir des bugs, des crashes. C’est une phase pendant laquelle nous voulons avoir une personne entièrement dédiée à la résolution des problèmes, pour qu’elle puisse travailler à plein temps sans ralentir le reste du développement du jeu.

Vous avez annoncé une possible collaboration avec le compositeur japonais Yasunori Mitsuda. Comment l’avez-vous rencontré et comment l’avez-vous convaincu de bosser avec vous ?

En travaillant avec un compositeur japonais sur un autre projet, on s’est rendu compte que ces gens-là ne sont pas totalement inaccessibles. Ils sont incroyablement bourrés de talent, mais ils sont aussi très sympathiques. Cédric a essayé de contacter des compositeurs renommés. Parmi tous ceux qui nous intéressaient, seul Yasunori Mitsuda a compris les problématiques d’un studio indépendant — les autres nos ont proposé des sommes faramineuses. Mitsuda composerait une dizaine de musiques orchestrées dans le jeu. En fonction du financement, on pourra envisager davantage de compositions, mais par défaut, il sera en charge des thèmes musicaux les plus importants.

Avec de si belles collaborations, n’avez-vous pas peur que le projet ne vous échappe un peu ?

C’est une vraie pression. Il faut que le jeu réponde aux promesses annoncées. On va se donner à fond, travailler avec la communauté. Il ne faut pas que l’on déçoive, sur tous les fronts, qu’il s’agisse de la réalisation comme du gameplay. Il faut que l’on ait le niveau, mais on a confiance en nous. On se sent à la hauteur du challenge.

Edge of Eternity

Vous avez opté pour des combats en 3D et au tour par tour, à l’heure où la tendance va plutôt aux combats en temps réel. Personnellement, j’aime beaucoup le tour par tour — c’est pour ça que je me replonge souvent dans de vieux RPG — mais je suis également très satisfait de la direction plus dynamique donnée aux combats dans les derniers Final Fantasy. 3D et tour par tour ne seront-ils pas perçus comme un retour en arrière ?

Prenons un exemple très concret. Il y a un jeu que l’on a beaucoup apprécié ces dernières années, c’est Lost Odyssey : un RPG fantastique, très lent, au tour par tour. C’est la preuve que c’est possible. Il faut aussi se rappeler que si le tour par tour s’est imposé il y a une vingtaine d’années, c’est parce qu’il est beaucoup plus simple à appréhender techniquement, pour l’animation comme pour l’action pure. Cette mécanique s’imposait pour nous, car nous sommes un studio indépendant. Ça, et le fait qu’Edge of Eternity soit un hommage, expliquent pourquoi nous avons fait ce choix. On a tout de même mis en place des réglages d’ATB : un système classique et un système plus rapide, pour les habitués. Notre ATB n’est pas présentée sous forme de tours, comme dans Final Fantasy X, mais plutôt sous la forme d’une ATB commune.

À la manière de Child of Light ?

Exactement. Vous aurez le choix entre un système ATB classique, ou un système plus dynamique comme dans Child of Light ou Grandia.

Pouvez-vous parler du système d’expérience ? Les statistiques des personnages évoluent de manière linéaire, mais une certaine marge de manœuvre est laissée pour les armes, c’est bien ça ?

Oui, les personnages ne sont pas au cœur de l’évolution. Ce sont les armes qui le définissent. Les armes peuvent monter en niveau et gagner des statistiques, comme les personnages. Au fur et à mesure des attaques utilisées — des sorts de feu par exemple — un arbre d’évolution propre aux armes se dessine. Elles peuvent ainsi se transformer, après plusieurs caps, en une autre arme beaucoup plus puissante. Les cristaux posés dans les armes pourront aussi les renforcer et débloquer de nouveaux sorts. À tout moment, le joueur peut changer ses statistiques, ses compétences, pour préparer une réelle stratégie avant d’aller affronter un boss. À cela s’ajoutent les conditions météo et le cycle jour-nuit, qui influeront directement sur les performances des ennemis et des héros.

Monde ouvert oblige, vous avez annoncé que le monde d’Heryron pourra être exploré de fond en comble. Comment traduisez-vous cela techniquement ? Pourrez-vous vous affranchir de longs temps de chargement ?

Ce n’est pas un grand open world. Le monde s’inspire un peu du fonctionnement de Lightning Returns: Final Fantasy XIII, à savoir qu’il existe de grandes cartes ouvertes, reliées par un hub central. De la carte du monde, ou des zones ouvertes, il sera possible de rejoindre des donjons ou des capitales. Les donjons, comme la grotte de la démo, sont très linéaires mais très oppressants. Ils sont difficiles, et mettent vraiment à contribution les compétences acquises, contrairement aux zones d’exploration plus calmes et reposantes.

Sortie prévue en fin d’année 2016, c’est bien ça ?

Tout à fait ! D’ici-là essayez la démo et soutenez-nous.

3 commentaires

  1. « Pourquoi continuellement regarder vers le passé, alors que la saga Final Fantasy s’appuie justement sur un renouvellement permanent qui ne demande qu’à être expérimenté ? »

    Je te cite (article FFRING sur le remake FF7) mais la lecture du passage de l’interview sur le système de combat m’a immédiatement fait penser à ce mémorable article. Le même débat se pose sur la construction d’un jeu « hommage » dont le système de combat ATB est exactement identique à celui des FF de l’époque…(en tout cas d’après la vidéo). Je n’ai pas forcément envie de rejouer à un jeu avec un système ATB copier-coller, j’ai juste à refaire (avec plaisir) les FF. Il faudrait vraiment que le travail sur le scénario, l’univers et les personnages, etc… soit exceptionnel pour que la valeur ajoutée pour le joueur-fan soit pertinente.

    Bon courage à eux, en tout cas.

    • Tu as tout à fait raison, c’était le sens de la question, car je m’interroge (en tant que joueur) sur l’intérêt du tour par tour et de mécaniques ancestrales dans un nouveau jeu en 3D. Je suis plutôt favorable à l’évolution du gameplay vers une dimension plus « action », mais on dirait que je suis assez seul dans ce combat, à en croire le succès du projet sur Kickstarter ;).

      • Tu n’es pas seul, tu n’es pas seul…l’histoire récente a montré que le succès d’un projet sur Kickstarter n’est pas un gage de la satisfaction finale des joueurs…Avec un esprit vieux con assumé, je reste dubitatif sur le financement participatif en général et ne me suis pas encore remis du choc causé par le poisson d’avril que tu y avais consacré sur FFRING.

        Je suis complètement d’accord sur le fait que la force des FF passe par le renouvellement du gameplay et ai apprécié énormément la trilogie FFXIII pour cela. J’avoue cependant que je considère que le système de combat FF mixant ATB et action a atteint une perfection quasi-optimale dans FFX-2 et FFXII (dans deux styles assez différents). Je suis certain que SE cravache pour nous proposer encore mieux dans leurs prochaines œuvres…

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